L’odyssée des noms de famille

L’odyssée des noms de famille
Tony Neulat

Tony Neulat

Ceci est un guest post écrit par Tony Neulat. Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, il est rédacteur dans la Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur du guide Retrouver ses ancêtres à Malte, publié en 2016 aux éditions Archives & Culture.

L’apparition naturelle des noms de famille

L’histoire de l’apparition et de l’évolution des noms de famille ou patronymes (du grec patêr : père et onuma : nom) est passionnante car elle s’est écrite spontanément, au fil des siècles et sans schéma directeur initial. C’est l’usage qui en a imposé le cours, très progressivement. Preuve en est, les noms de famille sont apparus et se sont fixés à des époques très différentes selon les pays mais leur origine repose chaque fois sur les mêmes mécanismes « naturels ». Cela peut paraître incroyable de nos jours – à une époque où nous sommes tous enregistrés par un prénom, un nom de famille, un passeport biométrique, un numéro de sécurité sociale, etc. – que l’Etat ou l’Eglise n’aient pas été les instigateurs de ce phénomène…

Et pourtant, il y a 2500 ans, les Romains disposaient déjà d’un système onomastique très élaboré, reposant sur trois noms : 

  • Le prénom (praenomen) qui était la marque de l’individu
  • Le nom de famille (nomen) qui indiquait l’appartenance à une famille, à un clan social
  • Le surnom (cognomen) qui était soit personnel soit héréditaire (il désignait alors l’appartenance à une branche d’une famille).

Mais la décadence de l’empire romain précipite dans sa chute ce principe de nom triple. Nouvelles sociétés, nouvelles mœurs : les envahisseurs germaniques répandent l’usage du nom unique et généralement flatteur. L’influence chrétienne favorise, quant à elle, l’essor du nom de baptême. Au Moyen-âge, nos ancêtres ne portent ainsi qu’un simple nom de baptême pendant de nombreux siècles.

Aux XIIe et XIIIe siècles, du fait de l’essor démographique, les Martin, Bernard, Thomas… se multiplient et leur identification se complique : nombreux sont ceux qui répondent aux mêmes appellations au sein d’une paroisse. On dote alors les homonymes de sobriquets pour les distinguer. Ces sobriquets, d’abord attachés à une personne, tendent progressivement à partir du XIVe siècle à se transmettre de génération en génération, notamment lorsqu’ils sont attachés à une terre et consignés dans des chartes ou terriers. Il s’agit d’une véritable révolution silencieuse ! Car, en devenant héréditaires, les surnoms ne caractérisent plus une personne en particulier mais un foyer, une lignée, une famille. Ils deviennent de véritables noms de famille. Ainsi, le sobriquet donné à un aïeul est conservé même s’il ne s’applique plus aux héritiers : le descendant LEROUX a beau être brun, le nom lui reste ! 

Signification des noms de famille

Autre fait marquant de l’apparition des noms de famille : le manque d’imagination de nos aïeux ! En effet, l’attribution des surnoms se résume à une quantité dérisoire de caractéristiques individuelles : 

  • La filiation (en mentionnant le nom du père) : un individu est avant tout « le fils de » tant qu’il n’a pas atteint l’âge de la majorité. Ainsi, l’association « Jean MARTIN » signifie à l’origine « Jean, fils de Martin ».
  • Le métier, la fonction ou le rang : tels que, par exemple, MARCHAND, MASSON, MEUNIER…
  • L’aspect physique : que ce soit la taille, (PETIT, LEGRAND…), la couleur ou l’absence de cheveux (LEROUX, BRUN, BLANC, CALVET), la couleur de peau (MOREAU, MOREL… désignant une personne à la peau mate)
  • L’origine géographique ou le lieu de résidence : que ce soit une région (BOURGOGNE ou sa variante occitane BERGOUGNOU), un lieu-dit ou une caractéristique géographique (DUBOIS, DUPONT, DUPUIS…)
  • Le caractère : tel que, par exemple JOLY (qui signifie joyeux), LEBON…

Par conséquent, seule une poignée de caractéristiques individuelles est à l’origine de l’écrasante majorité des noms de famille français.

A quoi font référence les 100 patronymes les plus courants ?

A quoi font référence les 100 patronymes les plus courants ?

La fixation des patronymes

C’est ainsi que les noms de famille sont apparus spontanément. Ils n’ont pas été instaurés par une quelconque loi promulguée par l’Etat ou l’Eglise. Ce n’est qu’à partir des XVe et XVIe siècles que les patronymes se transmettent définitivement de génération en génération et de père en fils, du fait de l’interdiction de changer de nom sans autorisation royale, du recours étendu aux terriers et de l’instauration des registres paroissiaux. Néanmoins, leur orthographe est, quant à elle, loin d’être figée. A une époque où la majorité de la population est illettrée, de nombreuses variations orthographiques sont observées d’un acte officiel à l’autre, et ce, pour un même individu. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle, avec l’alphabétisation de la population et l’apparition du livret de famille, que l’orthographe des noms de famille se fixe définitivement.

Livret de famille de 1910.

Livret de famille de 1910.

Bis repetita placent

Mais l’histoire ne s’arrête pas là… Les mêmes causes produisent les mêmes effets. En effet, le phénomène à l’origine des noms de famille sévit de nouveau et répand, dès le XVIe siècle, l’usage des surnoms. Sous l’Ancien Régime, la population est attachée à ses terres et à son seigneur et les moyens de transport sont très limités. La sédentarité est la règle. Conséquence : les familles, et donc leurs noms, restent majoritairement concentrées dans leur village d’origine. Par ailleurs, sous l’Ancien Régime, l’éventail des prénoms est très étroit : d’une part, parce que l’Eglise limite le choix des prénoms parmi les noms de saints ; d’autre part, parce que le nouveau-né reçoit le prénom de son parrain ou de sa marraine, ce qui laisse peu de place à l’innovation…

Ainsi, l’endogamie géographique conjuguée à la tradition catholique a tout naturellement conduit à la coexistence de nombreux homonymes au sein d’une même paroisse. Dès lors, comment distinguer les divers Jean NEULAT, Antoine MERCADIER, Marguerite MARTY ou Marie LAFON ? Grâce aux sobriquets bien sûr ! Dès lors, le même mécanisme – celui qui a abouti à l’émergence des patronymes – est à l’origine, dans de nombreuses régions, de la démocratisation des surnoms, à tel point que chaque individu du village disposait d’un sobriquet. 

Et ce n’est pas tout ! Ces surnoms, tout d’abord destinés à désigner un individu, sont peu à peu devenus des qualificatifs d’un foyer ou d’une lignée… Tout comme les patronymes, ils sont devenus héréditaires, se transmettant sur plusieurs siècles et devenant ainsi de véritables patronymes bis ! L’analyse de l’apparition et de la transmission de ces surnoms est passionnante car elle nous permet, par extrapolation, d’expliquer l’apparition des noms de famille quelques siècles plus tôt. Finalement, nombre de nos aïeux se sont vu désigner, progressivement et naturellement, par un prénom, un nom de famille et un surnom de lignée. 

Une méthode qui n’est pas sans rappeler le système onomastique romain en vigueur 2500 ans plus tôt ? En effet… Mais l’Histoire n’est-elle pas un perpétuel recommencement ?

Image couverture : Extrait d’un terrier du XVIe siècle. Les Neulat pullulent tellement dans le hameau qu’ils ont tous un surnom !