Les passages obligés avant le mariage

Les passages obligés avant le mariage
Tony Neulat

Tony Neulat

Ceci est un guest post écrit par Tony Neulat. Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, il est rédacteur dans la Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur des guides « Retrouver ses ancêtres à Malte » et « Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiques », aux éditions Archives & Culture.

Véritable sacrement du point de vue religieux, le mariage n’était pas célébré à la légère sous l’Ancien Régime. La démarche prénuptiale était bien définie par l’Eglise catholique et un grand nombre de « formalités administratives » étaient effectuées avant la cérémonie. Or, à chaque étape, des documents, particulièrement utiles aux généalogistes, étaient produits.

Un parcours bien défini

Les conciles de Latran en 1215 et de Trente en 1563 définissent précisément les conditions requises pour la célébration d’un mariage : monogamie, consentement mutuel, indissolubilité, publications des bans, célébration en présence du prêtre et des témoins, etc. 

Ces règles, applicables dans toute la zone d’influence de l’Eglise romaine (autrement dit, la majeure partie de l’Europe), étaient respectées scrupuleusement par les curés, comme l’atteste l’acte de mariage ci-dessous. Il en résultait une démarche bien définie, constituée de divers passages obligés avant le sacrement :

  1. Consentement mutuel des parties, lequel peut être formalisé avant la publication des bans par des fiançailles ou un contrat de mariage
  2. Demande d’autorisation de mariage, formulée par le prêtre au diocèse, lorsque l’un de ses paroissiens souhaite se marier. 
  3. Vérification que les futurs époux sont « libres de se marier », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas déjà mariés dans une autre paroisse, voire un autre pays, ceci afin d’éviter la bigamie. Lorsque l’un des paroissiens est étranger à la paroisse, le curé doit obtenir l’autorisation du curé de la paroisse d’origine.
  4. Publication des bans par trois dimanches ou jours de fêtes consécutifs dans les paroisses d’origine et de résidence des futurs époux, pour informer du futur mariage et ainsi identifier d’éventuels empêchements (de consanguinité, d’affinité spirituelle, etc.)
  5. Remontée par courrier à l’officialité, i.e. au tribunal de l’évêque, des empêchements éventuellement identifiés pendant la publication des bans.
  6. Délivrance de dispenses, pour exempter, par exemple, de la publication du troisième ban ou pour autoriser le mariage bien qu’un empêchement ait été découvert.
  7. Autorisations de mariage accordées par le diocèse ou les curés des paroisses d’origine des époux.
  8. Célébration du mariage.
  9. Annulation ou invalidation du mariage si un empêchement postérieur à la célébration est identifié.

Chacune de ces étapes donnait lieu à la production de documents spécifiques particulièrement utiles pour nous autres généalogistes, lesquels sont présentés brièvement dans les lignes qui suivent. 

Acte de bénédiction nuptiale classique, rédigé en 1775 à Saint-Projet (82), rappelant le respect des formalités prénuptiales. © AM de Saint-Projet.

Acte de bénédiction nuptiale classique, rédigé en 1775 à Saint-Projet (82), rappelant le respect des formalités prénuptiales. © AM de Saint-Projet.

Les contrats de mariage

Les futurs époux pouvaient formaliser leur engagement mutuel via un contrat, qui offrait la possibilité à chaque partie de recourir en justice en cas de non-exécution. Ce contrat était retenu par un notaire pour en assurer l’authenticité. Contrairement aux idées reçues, cette formalité, bien que facultative, était monnaie courante sous l’Ancien Régime, et ce, à tous les niveaux de l’échelle sociale. Le contrat de mariage précédait de peu la cérémonie (de quelques mois à quelques jours ; en moyenne un mois avant) et officialisait l’engagement imminent des futurs comme l’atteste la mention fréquemment employée : « Premièrement a été convenu et accordé que ledit … et ladite … se prendront en loyal et légitime mariage en face de la Sainte mère église catholique apostolique et romaine a la première réquisition de l’un ou de l’autre »

Les registres de fiançailles

Il est très rare que les curés consignent spécifiquement les fiançailles des époux. La plupart du temps, ils se contentent de signifier la date des fiançailles au sein de l’acte de bénédiction nuptiale. Toutefois, vous pouvez trouver des actes relatifs aux fiançailles au sein des registres paroissiaux et mêlés aux autres actes de baptêmes, mariages et sépultures. Certains curés particulièrement zélés tenaient même des registres de fiançailles spécifiques, dits « sponsalia » en latin. Les fiançailles ne précédaient le mariage que de quelques jours (parfois la veille même, au maximum 40 jours avant) afin d’éviter toute relation charnelle antérieure au mariage.

Les dossiers de demande de mariage

Connus également sous les noms d’enquêtes de mariage en français, de « marriage applications » en anglais, d’« expedientes matrimoniales » en espagnol, ces registres sont malheureusement très rares en France. Ils compilent les dossiers de demandes d’autorisation de mariage formulées par le prêtre au diocèse, lorsque l’un de ses paroissiens souhaitait se marier. Ils sont conservés aux archives diocésaines.

Les certificats de célibat

Monogamie oblige, une procédure était engagée pour chaque fiancé(e) afin de vérifier qu’il/elle était libre de se marier (« status liberi » en latin), c’est-à-dire célibataire ou veuf(ve). Les pièces de procédure résultantes – serment par écrit des époux, attestations par des proches des époux – étaient enregistrées par l’officialité. Malheureusement, ces registres sont quasiment inexistants en France bien qu’ils soient fréquents dans d’autres pays européens, où ils sont conservés au sein des archives diocésaines.

Les registres de publications des bans

Les bans étaient publiés à trois reprises, lors des messes de trois dimanches ou jours de fêtes consécutifs, dans les paroisses de résidence et d’origine des époux. La première publication précède donc la cérémonie religieuse d’environ un mois, voire moins si une dispense de publication d’un ban a été obtenue. Cette démarche visait à rendre publique l’imminence d’un mariage afin d’identifier au préalable les éventuels empêchements : de consanguinité, d’affinité spirituelle, d’honnêteté publique, de concubinage, etc. En l’absence d’empêchement, le curé en charge de la cérémonie reçoit un « certificat de non-empêchement » de la part des autres paroisses où ont été publiés les bans. A l’inverse, si un empêchement est découvert, le curé doit formuler une demande de dispense à l’officialité. La conservation de ces registres est très variable d’une paroisse à l’autre. Généralement mêlés aux autres actes des registres paroissiaux, ils sont souvent moins précis que les actes de mariage associés. Néanmoins, ils peuvent s’avérer précieux pour identifier le lieu de célébration du mariage ou pour suppléer à l’acte de mariage s’il a disparu.

Dispense de consanguinité de 1698 entre Pierre Enguehar et Jacqueline Enguehar, présentant le lien de parenté entre les époux sous forme d’arbre généalogique ! © AD 50, cote 301 J 25 1698.

Dispense de consanguinité de 1698 entre Pierre Enguehar et Jacqueline Enguehar, présentant le lien de parenté entre les époux sous forme d’arbre généalogique ! © AD 50, cote 301 J 25 1698.

Les dispenses de mariage

Diverses dispenses pouvaient être accordées pour la célébration du mariage malgré l’apparition d’un empêchement :

  • Dispenses de publication d’un ban (peu intéressante)
  • Dispenses d’affinité (lors d’un lien par alliance entre les futurs)
  • Dispenses d’affinité spirituelle (entre un parrain et sa filleule par exemple)
  • Dispenses de consanguinité (lors d’un lien de parenté entre les futurs)
  • Dispenses pour cause de concubinage
  • Etc.

Les dispenses de consanguinité sont particulièrement intéressantes du point de vue généalogique puisqu’elles précisent le lien de parenté entre les fiancés, lequel remonte parfois aux arrières-arrières-grands-parents ! Un arbre généalogique est parfois même esquissé ! Plus précisément, un dossier de dispense comporte :

  • La demande dite « supplique » des fiancés, dits « suppliants », envers l’évêque ou la cour de Rome, précisant leurs noms, prénoms, professions, domiciles et degré de parenté.
  • Les procès-verbaux des témoignages de quatre personnes recueillis lors de l’enquête dans la paroisse.
  • Le lien de parenté des futurs sous forme de tableau de cousinage ou d’arbre.
  • L’accord de l’évêque.

Ce fonds est conservé, avant la Révolution, soit aux archives départementales (série G), soit aux archives diocésaines.

Les actes de mariage religieux

Mascottes des généalogistes, ces documents n’ont plus besoin d’être présentés !

Les actes postérieurs au mariage

Successivement à la célébration religieuse, des surprises pouvaient survenir, parfois plusieurs années après… Un empêchement, tel que cité précédemment, pouvait être identifié a posteriori. Dans ce cas, le mariage pouvait être annulé ou invalidé par décision de l’officialité. Cette invalidation pouvait être définitive ou temporaire. Dans ce dernier cas, une réhabilitation de mariage pouvait être prononcée, si bien que vous pouvez retrouver deux actes de mariage à des dates différentes pour un couple d’ancêtres ! Par ailleurs, un mariage non consommé pouvait également être annulé. Ces décisions du tribunal épiscopal sont conservées aux archives diocésaines.

Image couverture : Histoire du droit canonique : « cérémonie de mariage » Miniature tirée de « Decretales » de Giovanni d’Andrea (1270/75-1348) rédigé sous la direction du pape Grégoire IX. 1326 Laon, Bibliothèque municipale ©Luisa Ricciarini/Leemage (Photo by leemage / Leemage via AFP)

Bibliothèque Municipale de Laon / Luisa Ricciarini / Leemage / AFP