Quelques dates clés à l’origine de l’état civil

Quelques dates clés à l’origine de l’état civil
Tony Neulat

Tony Neulat

Ceci est un guest post écrit par Tony Neulat. Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, il est rédacteur dans la Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur du guide Retrouver ses ancêtres à Malte, publié en 2016 aux éditions Archives & Culture.

Peut-être vous êtes-vous déjà demandé : pour quelle raison les registres paroissiaux débutent-ils en 1737 dans certaines paroisses, en 1668-69 dans d’autres, voire avant dans quelques-unes ? 
Voici quelques explications.

1215 : le concile de Latran

C’est l’Eglise qui, la première, a imposé la tenue de registres d’état civil, appelés registres paroissiaux ou « BMS » (pour baptêmes, mariages, sépultures) dans le jargon des généalogistes. Quelles étaient ses motivations ? Recenser ses ouailles ? Disposer des moyens d’attester de l’identité d’un paroissien ? Que nenni ! La raison première était tout autre : lutter contre la consanguinité. Les Canons de l’Eglise interdisaient en effet tout mariage entre parents au 4e degré (ou inférieur), c’est-à-dire entre deux fiancés présentant un ou des arrière-arrière-grands-parents en commun. Une exigence difficile à satisfaire en comptant uniquement sur la mémoire collective. C’est pourquoi le concile de Latran impose, en 1215, la tenue de registres de baptêmes et de mariages par les curés. Cette obligation est néanmoins très peu suivie d’effet.

1539 : l’ordonnance de Villers-Cotterêts

Cette ordonnance de François 1er est célèbre parmi les généalogistes à deux titres : d’une part, elle impose aux curés la rédaction de registres de baptême et, d’autre part, elle consacre le français comme langue officielle. L’article 51 énonce ainsi : « Aussi sera faict reg(ist)re en forme de preuve des baptesmes, qui contiendront le temps et lheure de la nativite, et par lextraict dudict reg(ist)re se po(ur)ra prouver le temps de maiorite ou minorite et fera plaine foy a ceste fin ». Quant à l’article 111, il précise qu’il est exigé de « prononcer et expedier tous actes en langage francoys ». Environ 1300 registres de cette époque sont parvenus jusqu’à nous. Il est intéressant de noter que c’est le pouvoir royal, et non l’Eglise, qui prescrit cette exigence aux curés.

Extrait de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 précisant l’obligation de tenue de registres de baptêmes (article li, i.e. 51).

Extrait de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 précisant l’obligation de tenue de registres de baptêmes (article li, i.e. 51).

1579 : l’ordonnance de Blois

Quarante ans plus tard, l’obligation est étendue aux registres de mariage et de sépulture, afin d’éviter la polygamie et les unions clandestines (article 181). Il est également précisé les conditions de validité du mariage : la présence de quatre témoins et le consentement des parents (article 40). Cette dernière modalité souligne la divergence de point de vue entre l’Eglise et le pouvoir royal quant au pouvoir et à la liberté des fiancés. Si la conception catholique du sacrement du mariage, définie seize ans plus tôt lors du concile de Trente, place le consentement mutuel des époux au centre de l’union, l’autorité royale n’est pas aussi libérale : les époux restent assujettis à leurs parents et ne sauraient épouser qui bon leur semble.

1667 : le Code Louis

L’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye, d’avril 1667, est cruciale car elle définit non seulement le contenu des actes que nous observons au cours de nos recherches mais elle impose la tenue des registres de baptême, mariage et sépulture en deux exemplaires : « Seront faits par chacun an deux registres pour écrire les Baptesmes, Mariages & Sepultures en chacune Paroisse… , l’un desquels servira de minutte & demeurera és mains du Curé ou du Vicaire, & l’autre sera porté au Greffe du Iuge Royal, pour servir de grosse » (article 8). Ainsi, l’un des exemplaires, nommé la « minute » était conservé par le curé, tandis que l’autre, nommé la « grosse », était déposé au greffe du tribunal royal le plus proche. La minute est souvent plus complète que la grosse car il s’agit du registre original. Toutefois, elle est généralement moins lisible car elle est rédigée sur le moment contrairement à la grosse, écrite au calme a posteriori. C’est pourquoi les registres paroissiaux conservés débutent régulièrement en 1668 ou 1669 : même si l’un des exemplaires n’a pas résisté à l’épreuve du temps, l’autre a pu être conservé.

1736 : la déclaration du roi

La lettre circulaire de Louis XV, rédigée à Versailles le 9 avril 1736, (re)précise la manière dont doivent être consignés les registres paroissiaux : « Dans chaque Paroisse de notre Royaume, il y aura deux registres qui seront reputez tous deux authentiques, & feront également foi en Justice, pour y inscrire les Batêmes, mariages et sepultures qui se feront dans le cours de chaque année » (article I). Le contenu détaillé de chaque acte est énoncé également. Cette déclaration oblige ainsi les curés à tenir deux registres identiques, et non plus un registre et sa copie sommaire. Elle vient renforcer le Code Louis, jusqu’alors peu respecté. Et de fait, les registres paroissiaux aujourd’hui conservés ne débutent parfois qu’en 1737.

Déclaration du roi concernant la forme de tenir les registres des baptêmes, mariages, sépultures, etc.

Déclaration du roi concernant la forme de tenir les registres des baptêmes, mariages, sépultures, etc.

1792 : décrets des 20 et 25 septembre

A l’heure de la Révolution, les actes de naissances, mariages et décès sont portés séparément sur des registres en mairie par l’officier d’état civil (le maire ou un adjoint). L’Etat se substitue donc à l’Eglise dans la tenue des registres mais les registres paroissiaux ne sont pas supprimés pour autant : ils sont nommés registres de catholicité après la Révolution. Ainsi, en 1792, l’état civil devient véritablement civil.