Quels prénoms pour nos aïeux ? Une affaire d’héritage…

Quels prénoms pour nos aïeux ?  Une affaire d’héritage…
Tony Neulat

Tony Neulat

Ceci est un guest post écrit par Tony Neulat. Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, il est rédacteur dans la Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur du guide Retrouver ses ancêtres à Malte, publié en 2016 aux éditions Archives & Culture.

Si aujourd’hui, le prénom donné aux enfants résulte d’un choix des parents, en fonction de sa sonorité, de la mode ou des origines de la famille, il n’en était pas de même autrefois. Le prénom n’était pas choisi mais légué. Voyons les règles qui définissaient, en France, la transmission des prénoms, règles que tout généalogiste gagnera à connaître !

Une faible diversité des prénoms

Quiconque a parcouru les registres paroissiaux à la recherche de ses ancêtres s’est trouvé confronté au problème suivant : parmi les différents Jean Martin, Dupont ou Neulat présents dans les registres, lequel est mon ancêtre ? En effet, on ne peut manquer d’être surpris par l’étroitesse de l’éventail des prénoms sous l’Ancien Régime. Ceci, conjugué à la prédominance de certains patronymes, conduit à la coexistence de nombreux homonymes dans une même paroisse, mais également au sein d’une même famille puisqu’il n’est pas rare que plusieurs membres d’une fratrie portent le même prénom ! Pour exemple, je pourrais citer un couple d’ancêtres, Guillaume Neulat et Berthomibe Fabre, qui eurent 9 enfants dans les années 1640-1650 : 2 Pierre, 2 Jeanne, 4 Jean et 1 Antoine !

Voilà une pratique qui peut dérouter de nos jours et qui devait donner lieu à quelques situations cocasses… Imaginez un père de famille, qui souhaite parler à sa fille et qui appelle : « Marie ! » et que trois personnes, sa femme et deux de ses filles, répondent : « Oui ? »… Heureusement que les sobriquets venaient à la rescousse. Cette tradition pouvait, à l’inverse, être particulièrement mal vécue par certains enfants qui portaient le même prénom qu’un aîné décédé en bas-âge. Etaient-ils considérés, par leurs parents comme un remplaçant, un substitut ? Vincent Van Gogh était-il tourmenté parce qu’il était né un an, jour pour jour, après le décès d’un frère aîné prénommé Vincent ? Salvador Dali disait quant à lui : « Avant ma naissance, venait de mourir de méningite un frère que mes parents adoraient. Quand je suis venu au monde, ils m’ont donné le même nom que lui, Salvador. À cause de cela, j’ai vécu toute mon enfance et toute mon adolescence en portant agrippé à mon corps et à mon âme l’image de mon frère mort… ».

Les tables décennales des naissances sont révélatrices des prénoms donnés aux enfants, dans une commune donnée et pendant une décennie déterminée. © AD46.

Les tables décennales des naissances sont révélatrices des prénoms donnés aux enfants, dans une commune donnée et pendant une décennie déterminée. © AD46.

Quoi qu’il en soit, cette habitude conduit à des chiffres incroyables : au XVIIIe siècle, 5 à 6 prénoms suffisent à désigner les deux tiers des garçons ou des filles d’un village ! Les hommes s’appelaient Jean, Pierre, Antoine, François, Joseph, Jacques, Guillaume, Charles, Louis, Etienne ou André tandis que les femmes se prénommaient Marie, Jeanne, Anne, Françoise, Catherine, Marguerite, Louise, Madeleine, Elisabeth… Vous êtes dubitatif ? Réalisez vos propres statistiques à l’échelle d’un village !

Comment expliquer une telle concentration des prénoms ?

Cette faible diversité des prénoms s’explique aisément par leur système d’attribution.

Primo, depuis le Concile de Trente (1545-1563), les parents étaient tenus de choisir le prénom de leurs enfants parmi les saints du calendrier, ce qui restreignait automatiquement le champ des possibles.

Calendrier de 1790. © Gallica.

Calendrier de 1790. © Gallica.

Secundo, le prénom était dans l’immense majorité des cas transmis et non choisi puisque l’enfant recevait généralement le prénom de son parrain ou de sa marraine (en fonction de son sexe). Un tel principe laissait peu de place à l’innovation…

Tertio, il existait des règles précises pour le choix des parrains / marraines des enfants. La tradition voulait que l’enfant aîné ait pour parrain son grand-père paternel et pour marraine sa grand-mère maternelle (pourvu qu’ils soient encore vivants). Le second avait pour parrain son grand-père maternel et pour marraine sa grand-mère paternelle. Les oncles et tantes étaient généralement parrains des suivants. Enfin, les plus jeunes étaient souvent les filleuls de leurs frères et sœurs aînés. Cette règle, quand elle était appliquée, fait le bonheur des généalogistes ! Car elle permet souvent, grâce aux parrains et marraines, de remonter d’une génération, même lorsque l’acte de mariage est introuvable, perdu ou non filiatif.

Ainsi, le prénom est reçu tel un héritage – religieux, communautaire et familial – et marque l’appartenance à une famille.

Des prénoms révélateurs

Par contraposée, tout prénom qui sort de l’ordinaire constitue souvent un indice précieux. Si plusieurs habitants d’un village portent, non seulement le même patronyme mais aussi le même prénom rare, il y a fort à parier qu’ils sont de la même famille. 

Par ailleurs, certains prénoms sont caractéristiques d’une région :

  • Pour les hommes : Martial et Léonard dans le Limousin, Amédée en Savoie ou dans le Jura, Marius en Provence, René en Anjou, Gilbert en Berry, Yves ou Mathurin en Bretagne, Claude en Franche-Comté, Lazare, Benoît, Philibert ou Vivant en Bourgogne, Nicolas dans l’Est et en Lorraine…
  • Pour les femmes : Léonarde dans le Limousin, Renée en Anjou, Solange en Berry, Perrine en Bretagne, Claudine en Franche-Comté, Odile en Alsace, Geneviève dans le bassin parisien, Bertrande dans les Hautes-Pyrénées…

En outre, le recours à certains prénoms issus de l’Ancien Testament, tels que Daniel, Rachel, David, Esther, Isaac, Abel, Barbara, etc… sont des indicateurs précieux d’une appartenance religieuse, non pas juive comme on le pense souvent, mais protestante.

L’apparition des trois prénoms

Si le prénom unique, issu du calendrier catholique, règne en maître pendant trois siècles, une pratique nouvelle apparaît, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle au sein de la bourgeoisie, puis se démocratise dans la première moitié du XIXe siècle : l’attribution de deux puis trois prénoms. Certaines familles poussent la surenchère jusqu’à donner cinq ou six prénoms à leurs enfants ! Dans la seconde moitié du XIXe siècle, nombreux sont donc les enfants déclarés avec trois prénoms sur leur acte de naissance même si, usuellement, ils n’en porteront qu’un. Le prénom d’usage n’est, à ce propos, pas nécessairement le premier… Il peut même s’avérer différent des trois prénoms choisis par les parents ! Une subtilité qui peut provoquer quelques imbroglios généalogiques lorsque l’on compare état civil (prénoms officiels) et recensements (prénoms usuels).

Et aujourd’hui ?

Paradoxalement, alors que toutes les barrières (religieuses, législatives, etc.) sont tombées et que les prénoms sont choisis librement et sans contrainte, ils n’ont jamais été aussi instructifs sur les individus qui les portent. Pourquoi ? Parce qu’ils reflètent les goûts de leurs parents, lesquels sont conditionnés par leur environnement. Les prénoms constituent ainsi des indicateurs forts d’une tranche d’âge, d’un milieu social et d’une origine ethnique, même si les conclusions, globalement vraies, qu’ils permettent de tirer peuvent – heureusement – s’avérer erronées au niveau individuel.

Image couverture : Un enfant, mon grand-père, au prénom des plus classiques (Pierre) et qui souhaitera appeler son fils Marcel, comme son père… mais qui n’aura que des filles ! © Tony Neulat.