Des femmes qui comptent : entretien avec Marie

Des femmes qui comptent : entretien avec Marie

Un nouveau blog passionnant, riche en documentation et de grande qualité, ce n’est pas tous les jours qu’on en découvre un ! Voici sans conteste notre coup de coeur en cette fin d’année. Le blog s’intitule Des femmes qui comptent, et non, il ne porte pas sur certaines femmes mais bien sur toutes car elles comptent toutes ! Nous avons interrogé Marie, l’auteur de ce blog tout jeune mais déjà incontournable, pour vous le faire découvrir. 

Qui est Marie ? Présentez-vous-en quelques lignes.

Je suis née de l’imagination d’un groupe de travail, regroupant des services d’archives historiques d’établissements bancaires, sous l’égide de l’Association des archivistes français. Je suis la narratrice du projet “des femmes qui comptent”. Que ce soit sur le blog ou les réseaux sociaux, je raconte mes découvertes et les parcours de femmes ordinaires dans l’univers de la banque.

Source : HSBC France, Archives historiques

Source : HSBC France, Archives historiques

Un peu plus sur moi ? J’ai 37 ans. Je suis originaire de Caen et je vis à Lille. Je m’y suis installée après avoir obtenu mon master traduction et interprétation. En effet, je suis traductrice (danois, norvégien, suédois, finnois).

Ma mère était professeur de Sciences économiques et sociales dans le secondaire. C’est elle qui m’a donné ce goût de la recherche et de l’analyse des “faits sociaux”. Mon père est commerçant. Petite, j’aimais l’aider à la gestion du magasin. Je l’ai également beaucoup observé avec ses clients. Je pense que mes origines m’aident à avoir une profonde empathie pour les femmes que je découvre dans les archives.

On dit de moi que je suis curieuse, mais je ne pense pas que ce soit un vilain défaut. Je pense aussi être joviale, persévérante et patiente. Je suis également une grande rêveuse !

Votre blog Des femmes qui comptent est tout nouveau. Comment est-il né et pourquoi ?

J’ai créé ce blog car je souhaite partager mes découvertes sur l’évolution du droit des femmes et plus largement sur l’évolution de la place des femmes dans la société à partir des archives bancaires et financières au cours du dernier siècle, du point de vue des employées et des clientes du secteur bancaire. Dis comme ça, cela semble assez pointu et très “prémédité”. Mais il y a encore un an, je n’aurais jamais imaginé mener un tel projet. Pourtant, je crois qu’il y a un moment qu’il est en gestation !

Comme je le disais, je suis traductrice. Lors de mes études, j’ai étudié une année dans le cadre du programme Erasmus au Danemark. Rétrospectivement, je crois que cela a été un déclic. En effet, j’ai pu y observer que les rapports “hommes / femmes” y sont différents qu’en France. J’ai trouvé cela très intéressant et j’ai commencé à me documenter à titre personnel sur la condition féminine, de manière très large.
Puis, par hasard, il y a quelques mois, j’ai traduit un ouvrage qui abordait la question de l’évolution des droits des femmes ces deux derniers siècles. J’ai alors réalisé que j’en savais davantage sur la question dans les pays scandinaves que dans mon propre pays. Cette thématique est alors devenue une véritable “obsession”. J’ai lu beaucoup d’articles et de livres à ce sujet. J’en parlais tout le temps, à tout le monde. Je voulais l’étudier, mais je ne savais pas comment. Et le hasard a encore frappé. Lors d’un verre entre amis, au détour d’un débat enflammé, ma meilleure amie m’a présenté Antoine. Il est archiviste dans un service d’archives historiques d’établissement bancaire. La simple existence de ce type de service fut déjà une découverte : je n’imaginais pas que les entreprises pouvaient conserver des archives pour d’autres raisons que des obligations administratives. Mais après tout, quand on y pense, les entreprises sont des témoins de leur époque. Leurs archives sont un moyen de préservation et de valorisation absolument uniques ! Elles conservent une mémoire extrêmement riche et diversifiée de l’histoire sociale, avec des informations sur les métiers, l’organisation du travail, les activités syndicales, les offres commerciales, l’évolution des lois qui régulent les activités, des affiches publicitaires, les plans des établissements.

Puis, comme pour me titiller encore un peu plus, Antoine me raconte que son entreprise vient de recevoir un important fonds d’archives d’une de ses filiales. Parmi ces documents, se trouvent des dossiers de carrière d’un ancien service qui n’employait que des femmes !!!

Source : BNP Paribas, Archives historiques

Source : BNP Paribas, Archives historiques

J’imaginais aisément qu’il devait y avoir de belles tranches de vies dans ces documents. Cela a été une véritable révélation : il fallait absolument que j’aille les consulter. Mais on n’entre pas dans les services d’archives comme dans un moulin. Ma persévérance m’aura beaucoup servi et j’ai convaincu Antoine de m’aider à accéder à ces petites pépites.  Après avoir montré patte blanche et exposé l’objet de mon étude auprès du service administratif, j’ai pu obtenir l’autorisation d’accéder au service des archives historiques.

Source : HSBC France, Archives historiques

Source : HSBC France, Archives historiques

Racontez-nous votre premier impact avec le monde des archives

“Impact”, c’est bien le mot. Elle aura eu une véritable influence sur moi. Pour être honnête, j’avais complètement sous-estimé la richesse de ce que j’allais trouver.

D’abord, avant même d’entrer dans le service, j’étais subjuguée par l’architecture du bâtiment. D’un coup, tout a fait sens. Je n’avais prêté attention aux allégories féminines sur la façade des bâtiments. Pourtant, les femmes sont omniprésentes, symboles de l’Épargne, l’Abondance, le Commerce.

Puis, dans un mélange d’appréhension et d’effervescence, j’accède au service. Mes préjugés se sont envolés. J’avais imaginé des services d’archives poussiéreux, où régnait le silence. J’avais tout faux. En guise d’austérité, je découvre une ambiance vraiment chaleureuse. Dans le premier bureau que je traverse, un collègue d’Antoine est en train de numériser les documents. Je réalise que j’avais une vision vraiment archaïque du monde des archives. Juste avant de partir, je croise par hasard la responsable du service marketing, qui venait s’inspirer pour une prochaine campagne publicitaire. “L’histoire de marque” est à prendre au sens littéral. Mais au delà de ça, j’ai pu comprendre que les archives ont beaucoup à nous dire sur la représentation des femmes, leurs droits, leurs conditions…

Et puis, il y a eu le grand moment : celui où j’arrive dans l’espace où se trouvent les archives à traiter. Ce sont les fameux “dossiers de carrière”. Pour une profane comme moi, c’était merveilleux. Heureusement qu’Antoine était là : en salle de lecture, il m’a beaucoup aidé pour mieux comprendre ces documents centenaires. Par exemple, il m’a expliqué ce qu’était le service des titres.

Au fur et à mesure, des tas d’anecdotes et de parcours de femmes se dévoilaient à moi. Ces femmes ordinaires me permettaient de comprendre ce qu’est la vie d’une femme employée ou cliente d’une banque. C’était si ancien et à la fois si actuel. J’ai lu des correspondances relatives à la mixité, l’égalité salariale, la promotion des femmes, etc. Cela ne vous semble pas familier? Je n’avais pas seulement de “vieilles pièces administratives” entre les mains.

Source : Fédération nationale des Caisses d’Epargne, Archives historiques

Source : Fédération nationale des Caisses d’Epargne, Archives historiques

Après cette première journée aux archives, j’ai réalisé combien celles-ci conservent la mémoire des échanges des banques avec des milliers de femmes anonymes : leurs employées et leurs clientes. Ces archives des banques sont aussi des témoins de leur époque, des bouleversements économiques et politiques, des innovations technologiques et des évolutions des mœurs. …C’est une véritable mine d’or.

Sources : HSBC France, Archives historiques

Sources : HSBC France, Archives historiques

 

C’est ainsi que j’ai décidé d’ouvrir mon blog, tel un journal de bord de mes découvertes.

Recrutement, carrière, salaires, métiers, formation professionnelle, conditions de vie au travail, les conditions d’emploi des femmes reflètent l’état de la société. Il y a vraiment beaucoup à dire sur l’évolution des droits des femmes. Mais j’étais à mille lieues d’imaginer que ce j’y trouverai résonnerait autant dans l’actualité et aurait un tel écho ! Ces dernières semaines, j’ai reçu des dizaines de messages enthousiastes et encourageants sur Twitter, pour saluer ma démarche, son utilité et sa pertinence. Tout cela est très soudain pour moi. Je ne pensais vraiment pas que tant de monde partagerait ma curiosité !

A tel point que j’envisage aller un peu plus loin. Je commence à réfléchir à une grande opération sur Twitter début 2018. J’y consacre tout mon temps libre.

Qu’avez-vous appris des archives des banques sur le rôle des femmes pendant la Grande Guerre ?

J’avais pas mal d’idées reçues sur l’emploi féminin avant et après la guerre. Je pensais que l’emploi féminin était quasi inexistant avant la guerre et que les femmes avaient toutes perdu leur poste dans les années 20, après avoir participé à l’effort de guerre. Ce que j’ai appris, notamment en consultant des procès-verbaux de conseil d’administration, c’est que la féminisation des postes dans les banques a débuté bien avant la guerre. Les femmes étaient employées principalement au service des titres. Elles ont commencé à y travailler dès les années 1890 car les banques françaises étaient parmi les plus grandes de la planète. Le marché financier parisien qui se matérialise par les rentes et les obligations (tout est sur papier) est le premier du monde ! Il fallait donc du personnel pour trier les obligations, découper des coupons du titre, …

Source : Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Source : Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Dans ce secteur donc, la féminisation n’a pas débuté avec le conflit, même si les banques embaucheront également massivement des auxiliaires féminins durant la Grande Guerre.

Ainsi, j’ai appris que la banque est un des secteurs les plus importants pour l’emploi des femmes durant la Grande Guerre. Mais aussi, à la différence de l’industrie par exemple, les femmes resteront globalement davantage dans le secteur bancaire après-guerre car elles sont nombreuses et indispensables!

Comme je le disais plus haut, mes découvertes aux archives font souvent écho à l’actualité. J’ai donc  aussi appris qu’elles étaient moins bien payées, employées à des tâches moins qualifiées. Les femmes ont dû se mobiliser et la question des salaires et du temps de travail a provoqué la grève des employé(e)s bancaires de 1917. J’ai ainsi découvert des personnalités, des femmes engagées, des syndicalistes, qui oeuvreront pour la cause des femmes et les politiques sociales dans les établissements financiers. C’est d’ailleurs l’objet d’un article que je suis en train d’écrire et qui sera très prochainement publié sur mon blog !

Site : www.desfemmesquicomptent.com

Twitter : @femmescomptent

 

Commentaires

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  • Huguette Gendreai

    29 novembre 2017

    Bonjour,

    J’aimerai m’inscrire à votre blog.

    Ici, les femmes au Québec sont les fondatrices des familles souches. Très peu de reconnaissance. Comme partout c’est le nom de famille de l’homme qui est aux archives.

    J’aimerai vous racconter qui elles étaient. Celle de mon origine viennent de France il y a 350 ans. Je suis de la onzième génération.

    • E

      Elisabeth

      30 novembre 2017

      Bonjour Mme Gendreai, merci pour votre message. Pas besoin d’inscription pour lire notre blog. Si vous voulez partagez votre histoire, vous pouvez nous écrire à . Nous serons ravis de vous lire.

  • JOCH -Bourrier Chantal

    14 février 2018

    Peu de gens encore, surtout chez les moins de 50ans, ne se penchent sur leur passé, c’est ce qui me désole dans ses jeunes générations de ma famille. ils ne veulent même plus rien savoir ! encore moins rechercher . Pourtant la vie des individus est entièrement dépendante des antécédents à commencer par leur naissance ! et ce que fut la vie de leurs ancêtres, pour arriver à la leur, tels mes petits-fils.
    Ils sont nés aux USA , ce qui n’arrange pas les choses, bien que j’aie tout fait, non sans mal (obstacle de ma belle-fille américaine) pour qu’ils aient aussi la nationalité française. Ils aiment « bien  » la France , mais il y a beaucoup de « mais »! celle-ci se résume à Paris , dont nous sommes originaires, et de la Côte d’Azur . Je n’arrive pas à les en décoller lors de leurs séjours européens. C’est dommage.

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