cela fait plaisir de voir que le souvenir est toujours vivant et que l’on se souvient de tous ceux qui nous permettent de vivre libre
‘Une famille en Normandie dans la tourmente’
- De Elisabeth
Le mois dernier nous vous avons invité à nous envoyer vos témoignages de la bataille de Normandie. Le premier récit que nous publions dans les pages de notre blog nous a été envoyé par monsieur Jean-Louis Grognet. Fils et petit-fils de militaire, il avait deux ans lorsque la bataille de Normandie libéra le sol français de l’occupation nazie. Il a rassemblé et mis par écrit une riche documentation dont les membres de sa famille sont les protagonistes. Nous vous proposons quelques extraits de son livre ‘1944. Un jour le débarquement’.
Résidant à Paris, sa famille avait trouvé refuge chez des cousins à Tinchebray dans leur ferme de La Bichetière . Ils vont ainsi se retrouver dans la tourmente d’une bataille qui a marqué douloureusement la Normandie.
Fin juillet, le général von Kluge installera son état-major à la ferme. Cette présence entraînera un mitraillage incessant et l’évacuation de la famille le 6 août. Ils seront de retour à Paris le 3 septembre.
Lettre de son père Jean (qui faisait partie des Forces Françaises de l’Intérieur), écrite de Paris le 6 juin 1944
…. Aux dernières nouvelles nous apprenons que la côte de la Manche est puissamment bombardée depuis ce matin 2 heures et que plusieurs tentatives d’occupation de têtes de ponts sont en voie d’exécution…en basse Seine ! dont une sur le Cotentin ! vous devez en avoir les répercussions auditives… Il fait mauvais temps…c’est la grande marée ! Espérons que ton fils pourra te rejoindre, cela sera mieux pour toi. Il ne faut avoir aucune inquiétude de notre côté. Deux alertes cette nuit, nous en sommes à la 2ème aussi ce matin et il n’est que 10 h 30.
…. Dans tous les cas je crois que la guerre est entrée ou passera d’ici la fin du mois dans la phase décisive qui nous permettra de respirer plus librement. Je ne pense pas avant le 15 juin quand même.
Bombardement dans le lointain…bruits d’avions très élevés mais pas d’alerte…
4ème alerte à 11 h 15 au moment où j’allais poster ta lettre. Alerte très courte. Dernière nouvelle T.S.F. un transport anglais est paraît-il en flamme à l’embouchure de la Seine. Parachutistes à l’embouchure de l’Orne ! Alors ce serait le comble…de les voir à Caen ! D’après les premiers prisonniers il y aurait 4 divisions de parachutiste! d’engagées là…mais en mauvaise posture grâce à la réaction allemande disent les dernières informations de Radio-Paris.
Il n’y a rien à craindre à Paris. Du calme, du repos, mangez bien…
Lettre de sa mère Simone le 15 juin de Tinchebray, adressée à son frère aîné Philippe, alors âgé de 17 ans.
Je t’écris toujours à toi ne sachant si vous êtes toujours ensemble ton père et toi. Que devenez-vous ? Vous auriez pu nous rejoindre à bicyclette, beaucoup l’ont fait mais je crois maintenant qu’il est trop tard. Il « paraît que les anglais sont à 25 km de nous ; comme nous entendons toujours le canon à peu près aussi lointain, je me demande si vraiment ils arrivent à pas feutrés !… Mais sommes toujours entourés de bombardements, mitraillages et gros passages d’avions, ça ne cesse pas. Flers est bombardé chaque jour, cette nuit les 5 Becs et la rue de la Planchette brûlaient, espérons que la maison de tante Thérèse sera protégée ? Je ne sais rien pour celle de Laure, jusqu’à présent elle était debout !… Menons une vie calme. Allons à Tinchebray faire nos courses à bécane sans être inquiétés du tout. Quelques convois, les allemands toujours très corrects, manquent de ravitaillement et d’essence et complètement d’aviation.
D’après Richard de Caen, il en a sorti sa femme à bout de nerfs. C’était un enfer, quelque chose d’effroyable. 1500 tués officiels, 5 à 6.000 morts…
J’ai pu avoir 45 kg de pommes de terre, la chocolaterie nous a donné 1 kg de sucre et de cacao par personne. Tout va bien. Sommes pleins de courage, il faut bien car nous sommes assez nerveux et manquons de calme. Les garçons ont construit une tranchée, espérons que nous n’aurons pas à nous en servir! Les enfants vont très bien. Jean Louis a un peu la colique due aux dents. Moi encore fatiguée par le manque de sommeil. Surtout ne vous en faites pas pour nous, la vie est très calme malgré les avions. Nous manquons absolument de nouvelles.
Extrait du journal de Philippe, en juillet 1944 :
Les foins sont la principale occupation. Lorsque nous travaillions dans les champs, un de nous avait un sifflet et au moindre avion qui se montrait, il fallait cesser tous travaux et quand il passait au-dessus de nous, il fallait aller dans les haies. On ne pouvait faucher, faner, racler, ramasser le foin que munis d’un sifflet. La grande phrase quand les mitrailleurs arrivaient était:
« LES VLA ».
Tante Marie-Louise appelait les aéroplanes « les artistes ». Quand un bruit quelconque troublait le silence de la guerre, tout le monde sortait, les uns avec des jumelles. les autres – quand c’était l’heure de diner – avec des serviettes de table au cou ou à la main, et lorsqu’on voyait piquer dans le lointain un avion, on s’empressait de dire: « Y PIQUE – Y PIQUE ».
Toutes les nuits, les patrouilleurs boches rasant la campagne troublaient le sommeil de ces dames, car pour moi je dormais bien. De temps en temps des fusées éclairaient le sol et après on entendait un mitraillage.
Une après-midi, alors que nous déchargions du foin, on entend dans l’air un bruit de mitrailleuse. On lève la tête et nous voyons un avion boche poursuivi par des spitfires. Au deuxième coup de l’arme à feu le boche prend feu et tombe comme un morceau de plomb, deux parachutistes en sortent à temps.
Nous trouvions aussi dans les champs des tracts envoyés par les anglais, mais le plus grand nombre était en allemand.
Depuis le débarquement les réfugiés ne cessaient de passer. Leur moyen de locomotion était la voiture à cheval, ou les pieds poussant devant eux une brouette ou portant des paquets. Nous recevions souvent des réfugiés, ils passaient la nuit, et reprenaient le chemin ne sachant pas où ils s’arrêteraient. Quelquefois des évacués emmenaient leurs vaches, leurs moutons, espérant revenir chez eux, une fois la guerre finie, et reprendre le travail au moins avec des chevaux et du bétail.
Parfois l’oncle Jacques venait nous voir. Or un jour il arrive après un mitraillage fait sur la route de Flers, et il nous raconte son aventure. « J’étais sur la route de Flers, lorsque deux camions allemands me doublent, et quelque temps après ils sont mitraillés. J’arrive en vue du camion qui brûlait, et faisant celui qui ne voit rien, je passe en vitesse car je ne tenais pas à ce que les allemands me prennent ma bicyclette. Et j’ai bien fait car quelques minutes plus tard le camion sautait et tuait cinq boches. »
Apprenant la nouvelle par TSF que la situation s’aggrave en Normandie, alors qu’il était retourné à Paris, Papa arrive à la Bichetière, mettant un jour et demi, et, portant dans ses sacoches un poste à galène.
Les deux Philippe, Rémi et Jean-Paul construisent deux plongeoirs, l’un à 50 centimètres de l’eau, et l’autre à un mètre environ. Nous faisons des projets pour une fête nautique qui malheureusement ne se fera pas. La première victime de la guerre est Jado, le chien de ma tante Thérèse qui fut tué sur le bord de la route, on ne sait pas de quelle façon. Ensuite les boches nous tuent de nuit un cochon à coup de revolver. Quelques fois des camions allemands venaient stationner la journée, avant de reprendre la route à la nuit tombante, et ils en profitaient pour demander du beurre, du lait, du cidre.
grenouilloux lucette
18 juillet 2014
Je trouve que ces publications que je viens de lire sur la famille de Jean-Louis Grognet, sont très intéressantes et nous éclairent un peu sur la bataille de Normandie….Ils relatent bien la vie des personnes qui ont vécu cette période. A vrai dire, on n’en sait que peu de choses. Pour ma part, je vais en garder une copie si cela m’est possible de le faire, et plus tard toute ma descendance pourra en prendre connaissance…. Merci à Elisabeth pour ses témoignages ils sont très intéressants.