‘Prezioso olocausto’ : récit de la Grande Guerre en Italie

‘Prezioso olocausto’ : récit de la Grande Guerre en Italie

Dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, nous rendons hommage aujourd’hui à un soldat italien, Cesare Mele, originaire de la ville de Sezze, située à 65 kilomètres au sud de Rome.

Alliée de la triplice (qui la liait avec l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne), l’Italie décida en 1914 de rester neutre, pour finalement rejoindre la Triple-Entente (France, Royaume-Uni et Russie) en mai 1915.  Au cours du conflit, 650 000 soldats italiens perdirent la vie, 947 000 furent blessés, 600 000 disparurent ou furent prisonniers.

Lucia Fusco nous raconte l’histoire de son grand-oncle qui par son courage et son sacrifice sauva toute sa famille.

Il y a quelques années, l’école Ceriara de Sezze reçut le nom d’un soldat, héros de la résistance, Aldo Bottoni. A quelques jours de la fin de la Seconde Guerre mondiale il avait donné sa vie et sa jeunesse, pour que nous puissions être libres aujourd’hui.

Ceci cependant est une autre histoire. C’est l’histoire d’un soldat, héros et « saint » qui a donné sa vie au cours de la Première Guerre mondiale pour la survie de sa famille. Sa famille, ma famille. Son nom était Cesare Mele. La stèle de sa tombe aurait besoin d’être restaurée. Elle est située dans la partie historique, au milieu de nombreuses autres pierres tombales, toutes aussi abîmées et oubliées. La photo montre un beau garçon brun en uniforme, avec une moustache.

Voici l’épitaphe:

Cesare Mele fils d’Antonio

Grenadier

Comme précieux Holocauste

Pour la victoire italienne

A rejoint les Anges

À l’âge tendre de 22 ans

Ses parents inconsolables et sans vie.

C’était en 1918 et Cesare, Grenadier de Sardaigne, était sur le front vénète. Depuis un certain temps, il recevait de chez lui des lettres avec une calligraphie inconnue, et même les mots n’étaient pas ceux utilisés dans sa maison. Inquiet, il demanda une permission de quelques jours à son capitaine, à qui il montra les lettres et fit part de ses craintes. Après quelques jours de voyage, le train l’amena à Velletri. Puis il arriva chez lui en toute hâte.

La maison était silencieuse. Il trouva les volets fermés et la porte entrouverte : son père, Antonio, avait une forte fièvre et ne le reconnut pas, sa mère, Filomena, dans un murmure, le pria d’être prudent : la grippe espagnole les avaient frappés. Qu’il aille à all »Alberito’ à Ceriara, où leurs bêtes étaient attachées aux oliviers … Même ses frères et sœurs étaient malades: le plus jeune, Angelo, âgé de quelques mois, qu’il voyait pour la première fois, était le plus malade. Cesare ne perdit pas courage et prépara du vin chaud à laquelle il ajouta la précieuse quinine que chaque soldat avait. Une fois refroidi, il  fit boire le liquide à sa famille. Tout le monde reçut une dose, sauf le bébé, qui était trop petit pour boire ce terrible breuvage.

Puis, sur un âne, il partit sur le chemin de Quartara, tratturo qui du Mont Trevi descend jusqu’à Ceriara, à quelques pas du marais, où se trouvaient la taverne de Panici et quelques cabanes. Arrivé à ‘l’Alberito’ il s’occupa des animaux. Il les libéra pour qu’ils paissent. Il leur donna de l’eau et puis, avant de rentrer à la maison, parce qu’il était très fatigué par le voyage et les émotions, il sema des fèves pour que les bêtes ait plus de nourriture.

Mais il avait attrapé la grippe, et dès qu’il rentra chez lui, il se mit au lit, fiévreux. Son père, sa mère et ses frères et sœurs commençaient à se sentir un peu mieux et attendait son retour. Filomena alla prévenir les gendarmes que son fils Cesare avait la grippe espagnole, et qu’il ne pouvait pas repartir le lendemain; mais le maréchal répondit que, mort ou vif, il devait repartir sur le front.

Le soldat malade se reposait dans la chambre qu’il partageait avec ses petits frères et sœurs et ses grands-parents. Dans une autre pièce il y avait maintenant un petit cercueil dans lequel reposait le bébé Angelo. Cesare, ignorant la mort de son plus jeune frère, s’étonnait de ne pas l’entendre pleurer. Sa mère lui dit qu’il était chez la voisine. Ainsi Cesare partit tranquille: quand il sentit la mort proche il demanda à sa mère d’aller lui chercher de l’eau fraîche … et il mourut seul. Comme un soldat. Il n’avait pas le courage de mourir devant sa mère. Il venait d’arriver chez lui mais déjà il était parti. Il avait distribué de la quinine à tous mais lui n’en avait pas bu …

Filomena, fière et courageuse comme Anita Garibaldi, enterra en quelques heures son fils ainé ainsi que son petit dernier et le plus jeune, accompagnée au cimetière par l’institueur Nardacci et sa classe. En fait, l’école se trouvait dans la maison de Filomena. De retour à la maison la mère en deuil offrit à l’instituteur et aux enfants tout le fromage et le pain en l’honneur de ses chers disparus. Après avoir pris soin de la maison et des sept petits frères et sœurs, Paolo, Tommaso, Vincenzo, Lidano, Luigi, Luisa, Giuseppina, elle se rendit all’Alberito, a Ceriara avec son âne. Tout était en ordre, les animaux avaient survécu à ces jours terribles. Le pré était en fleurs, les fèves commençaient tout juste à pousser … et Filomena reconnut les empreintes profondes de son fils. Un fleuve de larmes coula de ses yeux et entre deux sanglots, elle embrassait les traces une à une, comme si elles étaient une relique, et elle criait et maudissait le ciel de ce supplice.

Je voulais écrire cette histoire pour la partager, car elle ne doit pas être oubliée. Quand j’étais petite, mes parents et mes grands-parents racontaient les histoires de famille, à moi et à mes cousins​​, pour que nous puissions grandir en connaissant notre histoire. Pour se souvenir toujours du chemin parcouru. Aujourd’hui, nous ne racontons plus les histoires de sacrifice aux jeunes générations : ce sont des choses anciennes et inutiles, personne ne s’en soucie. Mais je crois, fermement, que notre passé, notre langue, l’histoire, sont les choses les plus précieuses que nous possédons, et une fois perdue toute mémoire il ne nous restera plus rien, comme l’écrit le poète sicilien Ignazio Buttitta:

‘Un peuple

devient pauvre et asservi

quand on lui vole sa langue

héritée de son père.

Elle est perdue à jamais.’

Aujourd’hui sur ses empreintes se tient ma maison. Je vis à l’’Alberito’ depuis de nombreuses années…

Commentaires

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  • Christian DARDANNE

    29 juillet 2014

    Très belle histoire d’un brave au grand coeur, qui, par esprit de sacrifice, a sauvé sa famille en sachant les risques qu’il prenait pour lui-même.
    A méditer et à raconter à nos enfants.

  • PIGNATO – CONTE

    14 août 2014

    Cette histoire est très touchante – Elle m’a ému au plus profond de mon coeur et j’ai eu les larmes aux yeux. Très courageux Cesare MELE.

  • camilleri

    14 août 2014

    Une preuve d’amour à sa famille ,comme nous n’envoyons plus de nos jours, je tiens à soulignier que son chef de corps a était émotivement bon,,est qu’en tant de guerre,,c’est tres rare,,cela devait etre un bon militaire,pour lui avoir accorder cette permission,,ce qui est tout naturel pour ma part,,Une pensée pour cette famille…………

  • Toussaint Guy

    15 août 2014

    Très touchante histoire, elle arrive à propos au moment où l’on se souvient de cette époque, elle donne un éclairage particulier sur la façon dont le sacrifice pouvait subvenir. Merci de nous l’avoir fait partager.

  • Van nieuwenhuyse

    15 août 2014

    Oui. C’est une belle et triste histoire qui me touche beaucoup, en particulier parce qu’elle vient de ce merveilleux pays qu’est l’Italie

  • Pichard

    19 août 2014

    En lisant ce résumé de courte vie, je me sentait voisine de cette famille Mele, et bien raconté de cette sorte, il en reste une émotion avec un pincement au cœur.J’aime le peuple de l’Italie, ses monuments, son histoire, ses chansons…
    martine.