Les trois frères Stevens : l’histoire d’une amitié franco-américaine nouée autour de la mémoire d’un soldat du D-Day
- De Elisabeth Zetland ·
C’est une belle et incroyable amitié qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, lie la famille de Sylvie Laillier, utilisatrice française originaire de Normandie et une famille américaine, qui a envoyé trois fils se battre. Deux d’entre eux, Paul et William Stevens, ne revinrent pas. Le troisième, Donald Stevens, aujourd’hui 97 ans, chérit ce lien indéfectible qui les unit malgré les années qui passent et un océan qui les séparent. Pour le 80e anniversaire du débarquement le 6 juin, MyHeritage vous raconte leur histoire, que le cousin de Sylvie, Ludovic Adeline, vient de publier dans une magnifique bande dessinée.
La famille de Sylvie vient de Saint-Laurent-sur-Mer, commune du Calvados en Normandie, qui borde la plage d’Omaha Beach. Cette même plage qui est surnommée “la sanglante” car c’est là que les Alliés ont perdu le plus d’hommes lors du débarquement de Normandie le 6 juin 1944.
Un jour de 1946, une lettre arriva à la poste de Saint-Laurent-sur-Mer. L’expéditeur était Lillian Stevens, une mère américaine qui avait perdu deux fils pendant la guerre. Son fils aîné, Paul T. Stevens, avait débarqué à Omaha Beach et avait été tué le 19 juin 1944.
« J’ai un fils enterré dans le cimetière militaire américain de Saint-Laurent-sur-Mer en France. Si cela est possible, j’aimerais avoir une réponse de la personne qui prend soin de sa tombe. On nous a dit qu’elles sont souvent prises en charge par des particuliers », avait-elle écrit. Dans la lettre, elle évoquait également son deuxième fils, William, tué au combat en Allemagne le 1er avril 1945.
Le grand-père de Sylvie, Charles Olard, était le facteur de Saint-Laurent. Touché par la lettre de Mme Stevens, il décide avec son épouse Germaine, de localiser la tombe et d’envoyer une lettre à la mère en deuil, en joignant une photo de la tombe. C’est depuis ce moment que s’est tissé entre les deux familles un lien extraordinaire qui dure depuis 80 ans, et qui est relayé aujourd’hui par les familles des petits-enfants de Charles et Germaine Olard et le troisième frère Stevens, Donald, qui a survécu à la guerre.
« Je crois que mes grand-parents ont aussi mis dans l’enveloppe une poignée de terre prise autour de la tombe de Paul, précise Sylvie. Aujourd’hui, ma famille continue de fleurir sa tombe. »
“J’étais le troisième fils de ma famille, avec seulement 5 ans d’écart, nous avons donc grandi comme des triplés”, se souvient Donald. “Comme j’ai été le seul à rentrer à la maison, j’étais perdu et confus quant à mon avenir. La nouvelle famille franco-américaine élargie qui a vu le jour en 1944 a fait du vieil axiome ‘Parfois, il faut perdre pour gagner’ une réalité. Notre histoire est remplie de tellement d’amour et de confiance les uns envers les autres que nous formons une famille au-delà de toute croyance. Je ne sais pas si je suis plus américain ou français mais je revendique la double nationalité, une sur le papier et une dans mon cœur.”
Donald Stevens, en compagnie de son fils Scott, évoque ses frères disparus et le lien qui l’unit à la France :
La famille Stevens était originaire d’Osceola Mills, une petite ville de Pennsylvanie, qui comptait deux milles habitants en 1940. Mille d’entre eux partirent à la guerre ; trente-cinq ne revinrent pas. Les trois fils aînés, Paul, William et Donald s’engagèrent tour à tour dans l’armée lorsque l’Amérique entra en guerre.
Paul, l’aîné de la fratrie, s’engage en mars 1943. Les Stevens arborent fièrement à leur fenêtre un drapeau avec une étoile bleue signalant qu’un membre de la famille sert dans l’armée. C’était la première fois que Paul quittait sa famille. Après un entraînement de quelques mois, lors de sa permission avant son départ vers l’Europe, sa famille réalise que l’eczéma qui le faisait toujours souffrir, avait complètement disparu.
La mission fatale de Paul : reprendre Saint-Lô aux Allemands
Soldat de la compagnie K, 23e d’infanterie, 2e division, il arrive en Irlande en septembre 1943 et se trouve en Angleterre en mai 1944, où son unité s’entraîne pour le D-Day. Il débarque à Omaha Beach le 7 juin 1944. La mission est de libérer les villages normands ; l’objectif : Saint-Lô. Les combats sont durs, les pertes importantes, la progression lente.
Le 13 juin, Paul et son groupe subissent une violente contre-attaque allemande à Saint-Georges-d’Elle. Du haut de la colline qui surplombe ce village, l’artillerie allemande pilonne les troupes américaines. C’est le dernier village que Paul traverse.
Sur le chemin vers la colline 192, les combats sont tout aussi violents. Les Allemands se battent avec acharnement pour empêcher les Américains de prendre Saint-Lô. Alors que les obus pleuvent sur eux, Paul se réfugie dans un trou. Il est tué sur le coup. On est le 19 juin 1944, Paul avait 20 ans.
Lorsqu’il apprend la mort de son frère, William tient à le venger et écrit un poème déchirant pour Paul qui se termine ainsi :
“He cannot come back
It’s now up to me,
To go where he’s gone
So together we’ll be”
« Il ne peut pas revenir
C’est maintenant à moi,
D’aller là où il est allé
Alors ensemble nous serons »
L’étoile sur le drapeau de la fenêtre des Stevens change de couleur – jaune – signalant la mort du soldat, mais une nouvelle étoile bleue va orner le drapeau car William réussit à s’engager, malgré un premier rejet dû à une tache aux poumons. William persiste, et alors qu’il a contracté une infection aux pieds qui le fait souffrir mais qu’il cache, il est finalement recruté en octobre 1944.
Le deuxième frère tué au combat en Allemagne
Il arrive en France en février 1945, et rejoint la 3e armée du général Patton. Ses pieds le font tellement souffrir qu’il ne peut plus enlever ses bottes. Le simple fait de marcher est une torture, mais pas un instant ne songe t-il à abandonner. Il tient à poursuivre ce que son frère a commencé.
Une nouvelle étoile jaune orne le drapeau des Stevens, alors qu’une autre étoile bleue a fait son apparition puisque le troisième frère, Donald, s’est lui aussi engagé. Âgé de 18 ans en 1945, il est dans la Marine et sur le point d’être envoyé dans le Pacifique, lorsque la nouvelle de la mort de William tombe. Donald tient absolument à se battre, mais parce que ses parents ont déjà perdu deux fils, l’armée le renvoie chez lui.
Lillian Stevens et Germaine Olard ont échangé des lettres jusqu’à la mort de Lillian en 1959. Comme les Stevens ne parlaient pas français, chaque lettre était traduite par un professeur de français de l’école locale. De leur côté, les Olard avaient quelques notions d’anglais et se faisaient aider par une dame de leur village.
« Cette correspondance a aidé ma mère à affronter son chagrin pendant les dernières années de sa vie. » affirme Donald aujourd’hui.
Au cours des dernières années de sa vie, Lillian Stevens a vécu l’angoisse d’avoir un autre fils dans l’armée. Son plus jeune fils, Ronald, aujourd’hui décédé, a en effet servi pendant plusieurs années.
Une amité franco-américaine célébrée dans une bande dessinée
Après le décès de Lillian, les familles sont ensuite restées en contact par courrier, puis la première rencontre, initiée par la mère de Ludovic, a eu lieu aux États-Unis en 1975. La première de plusieurs visites aux États-Unis et en France.
Cette histoire émouvante vient d’être publiée, sous forme de bande dessinée, par Ludovic Adeline, petit-fils de Charles et Germaine Olard et cousin germain de Sylvie Laillier. Libraire à la retraite, il a voulu que les jeunes générations sachent le sacrifice de celles qui les ont précédées, tout en célébrant l’amitié franco-américaine entre les Stevens et sa famille. Intitulé Les trois frères Stevens, le livre est disponible en français et en anglais.
« Quand il nous a dit qu’il allait écrire une bande dessinée, nous avons pensé que c’était une idée intéressante mais nous ne savions pas comment il allait faire. Le résultat est tout simplement incroyable », s’extasie Scott, le fils de Donald Stevens.
“Après la première visite de ma mère l’année précédente, j’ai eu le privilège en 1976 de rencontrer Norman Stevens. C’était très émouvant, il avait l’impression de retrouver un peu de ses fils qui revenaient à travers moi.”, se souvient Ludovic.
“Je suis retourné plusieurs fois aux Etats-Unis, poursuit Ludovic, mais la visite la plus mémorable est celle de Don chez nous en 2019, pour le 75e anniversaire du débarquement. Il avait déjà 92 ans. J’avais pris une jeep militaire que j’ai mise aux couleurs du régiment de Paul, j’ai ajouté en photo les effigies de Paul, William, et Donald et un autocollant affichant ‘Veteran on board’, et on s’est baladé comme ça. On a vécu des rencontres et des aventures complètement inattendues.”
“A chaque fois qu’on s’arrêtait, explique Ludovic, un attroupement se formait et Don commençait à raconter l’histoire de ses frères et la sienne en montrant leurs photos. Au fil des jours, j’ai réalisé que mes enfants et petits-enfants ne connaissaient pas tous ces détails et j’ai commencé à penser à comment transmettre cette histoire. Comme la bande dessinée est plus accessible aux jeunes, j’ai regroupé toute ma collection de photos et je les ai transformées en dessins.”
Lors de cette dernière visite en Normandie, Donald a donné à Ludovic le drapeau américain qui recouvrait le cercueil de son frère Paul ainsi que son propre uniforme de la Navy.
Donald aurait voulu faire le voyage cette année encore pour marquer le 80e anniversaire du débarquement et se recueillir de nouveau sur la tombe de son frère Paul, mais, à 97 ans, pour d’évidentes raisons de santé, il a dû renoncer. Il est d’autant plus important pour lui que l’histoire des frères Stevens soit racontée.
Regardez dans Le Parisien Sylvie, Ludovic et Donald raconter leur histoire ensemble :
Un grand merci à Sylvie, Ludovic, Donald et Scott d’avoir partagé leur très belle histoire avec nous.
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